Kant [41] Morale du devoir : seule l’intention bonne (bonne volonté) compte. Respect de la loi morale et critère de l’universalisation. L’impératif catégorique. (FMM)

Publié le par Maltern

Kant [41] Morale du devoir : seule l’intention bonne (bonne volonté) compte. Respect de la loi morale et critère de l’universalisation. Exemple de la fausse promesse et du devoir d’assistance. L’impératif catégorique. (FMM)

 

« De tout ce qu’il est possible de concevoir dans le monde, et même en général hors du monde, il n’est rien qui puisse sans restriction être tenu pour bon, si ce n’est seulement une BONNE VOLONTÉ. L’intelligence, le don de saisir les ressemblances des choses, la faculté de discerner le parti­culier pour en juger, et les autres talents de l’esprit, de quelque nom qu’on les désigne, ou bien le courage, la décision, la persévérance dans les des­seins, comme qualités du tempérament, sont sans doute à bien des égards choses bonnes et désirables; mais ces dons de la nature peuvent devenir aussi extrêmement mauvais et funestes si la volonté qui doit en faire usage, et dont les dispositions propres s’appellent pour cela caractère, n’est point bonne. Il en est de même des dons de la fortune. Le pouvoir, la richesse, la considération, même la santé ainsi que le bien-être complet et le contentement de son état, ce qu’on nomme le bonheur, engendrent une confiance en soi qui souvent aussi se convertit en présomption, dès qu’il n’y a pas une bonne volonté pour redresser et tourner vers des fins uni­verselles l’influence que ces avantages ont sur l’âme, et du même coup tout le principe de l’action; sans compter qu’un spectateur raisonnable et impartial ne saurait jamais éprouver de satisfaction à voir que tout réus­sisse perpétuellement à un être que ne relève aucun trait de pure et bonne volonté.

 

[...] [Le] devoir est la nécessité d’accomplir une action par respect pour la loi. Pour l’objet conçu comme effet de l’action que je me propose, je peux bien sans doute avoir de l’inclination, mais jamais du respect, précisément parce que c’est simplement un effet, et non l’activité d’une volonté. De même je ne peux avoir de respect pour une inclination en général, qu’elle soit mienne ou d’un autre; je peux tout au plus l’approuver dans le premier cas, dans le second cas aller parfois jusqu’à l’aimer, c’est‑à‑dire la considérer comme favorable à mon intérêt propre. Il n’y a que ce qui est lié à ma volonté uniquement comme principe et jamais comme effet, ce qui ne sert pas à mon inclination, mais qui la domine, ce qui du moins empêche entièrement qu’on en tienne compte dans la décision, par suite la simple loi pour elle‑même, qui puisse être un objet de respect et par conséquent être un commandement. Or, si une action accomplie par devoir doit exclure complètement l’in­fluence de l’inclination et avec elle tout objet de la volonté, il ne reste rien pour la volonté qui puisse la déterminer, si ce n’est objectivement la loi, et subjectivement un pur respect pour cette loi pratique, par suite la maxime d’obéir à cette loi, même au préjudice de toutes mes inclinations.

 

Ainsi la valeur morale de l’action ne réside pas dans l’effet qu’on en attend, ni non plus dans quelque principe de l’action qui a besoin d’emprunter son mobile à cet effet attendu. Car tous ces effets (contentement de son état, et même contribution au bonheur d’autrui) pourraient être aussi bien produits par d’autres causes; il n’était donc pas besoin pour cela de la volonté d’un être raisonnable.

 

[…] Mais quelle peut donc bien être cette loi dont la représentation, sans même avoir égard à l’effet qu’on en attend, doit déterminer la volonté pour que celle‑ci puisse être appelée bonne absolument et sans restriction? Puisque j’ai dépossédé la volonté de toutes les impulsions qui pourraient être suscitées en elle par l’idée des résultats dus à l’observation de quelque loi, il ne reste plus que la conformité universelle des actions à la loi en général, qui doit seule lui servir de principe; en d’autres termes, je dois toujours me conduire de telle sorte que je puisse aussi vouloir que ma maxime devienne une loi universelle. Ici donc c’est la simple conformité à la loi en général (sans prendre pour base quelque loi déterminée pour certaines actions qui sert de principe à la volonté, et qui doit même lui servir de principe, si le devoir n’est pas une illusion vaine et un concept chimérique.

 

[…] II n’y a donc qu’un impératif catégorique, et c’est celui‑ci: Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle.

 

Or, si de ce seul impératif tous les impératifs du devoir peuvent être dérivés comme de leur principe, quoique nous laissions non résolue la question de savoir si ce qu’on appelle le devoir n’est pas en somme un concept vide, nous pourrons cependant tout au moins montrer ce que nous entendons par là et ce que ce concept veut dire.

 

 

 

[Exemple de la fausse promesse]

 

[…] Nous allons maintenant énumérer quelques devoirs, d’après la division ordinaire des devoirs en devoirs envers nous‑mêmes et devoirs envers les autres hommes, en devoirs parfaits et en devoirs imparfaits.

 

[…] Un autre [homme] se voit poussé par le besoin à emprunter de l’argent. Il sait bien qu’il ne pourra pas le rendre, mais il voit bien aussi qu’on ne lui prêtera rien s’il ne s’engage ferme à s’acquitter à une époque déterminée. II a envie de faire cette promesse; mais il a aussi assez de conscience pour se demander: n’est‑il pas défendu, n’est‑il pas contraire au devoir de se tirer d’affaire par un tel moyen? Supposé qu’il prenne cependant ce parti; la maxime de son action signifierait ceci: quand je crois être à court d’argent, j’en emprunte, et je promets de rendre, bien que je sache que je n’en ferai jamais rien. Or il est fort possible que ce principe de l’amour de soi ou de l’utilité personnelle se concilie avec tout mon bien‑être à venir; mais pour l’instant la question est de savoir s’il est juste. Je convertis donc l’exigence de l’amour de soi en une loi universelle, et j’institue la question suivante: qu’arriverait‑il si ma maxime devenait une loi universelle? Or je vois là aussitôt qu’elle ne pourrait jamais valoir comme loi universelle de la nature et s’accorder avec elle‑même, mais qu’elle devrait nécessairement se contredire. Car admettre comme une loi universelle que tout homme qui croit être dans le besoin puisse promettre ce qui lui vient à l’idée, avec l’intention de ne pas tenir sa promesse, ce serait même rendre impossible le fait de promettre avec le but qu’on peut se proposer par là, étant donné que personne ne croirait à ce qu’on lui promet, et que tout le monde rirait de pareilles démonstrations, comme de vaines feintes.

 

 

 

[Exemple du devoir d’assistance à personne dans le besoin]

 

Enfin un quatrième, à qui tout va bien, voyant d’autres hommes (à qui il pourrait bien porter secours) aux prises avec de grandes difficultés, raisonne ainsi : Que m’importe? Que chacun soit aussi heureux qu’il plait au Ciel ou que lui‑même peut l’être de son fait; je ne lui déroberai pas la moindre part de ce qu’il a, je ne lui porterai pas même envie; seulement je ne me sens pas le goût de contribuer en quoi que ce soit à son bien‑être ou d’aller l’assister dans le besoin ! Or, si cette manière de voir devenait une loi universelle de la nature, l’espèce humaine pourrait sans doute fort bien subsister, et assurément dans de meilleures conditions que lorsque chacun a sans cesse à la bouche les mots de sympathie et de bienveillance, et même met de l’empressement à pratiquer ces vertus à l’occasion, mais en revanche trompe dès qu’il le peut, trafique du droit des hommes ou y porte atteinte à d’autres égards. Mais, bien qu’il soit parfaitement possible qu’une loi universelle de la nature conforme à cette maxime subsiste, il est cependant impossible de VOULOIR qu’un tel principe vaille universellement comme loi de la nature. Car une volonté qui prendrait ce parti se contredirait elle‑même; il peut en effet survenir malgré tout bien des cas où cet homme ait besoin de l’amour et de la sympathie des autres, et où il serait privé lui‑même de tout espoir d’obtenir l’assistance qu’il désire par cette loi de la nature issue de sa volonté propre.

 

[...] Si donc il doit y avoir un principe pratique suprême, et au regard de la volonté humaine un impératif catégorique, il faut qu’il soit tel que, par la représentation de ce qui, étant une fin en soi, est nécessairement une fin pour tout homme, il constitue un principe objectif de la volonté, que par conséquent il puisse servir de loi pratique universelle. Voici le fondement de ce principe: la nature raisonnable existe comme fin en soi. L’homme se représente nécessairement ainsi sa propre existence; c’est donc en ce sens un principe subjectif d’actions humaines. Mais tout autre être raisonnable se présente également ainsi son existence, en conséquence du même principe rationnel qui vaut aussi pour moi; c’est donc en même temps un principe objectif dont doivent pouvoir être déduites, comme d’un principe pratique suprême, toutes les lois de la volonté. L’impératif pratique sera donc celui‑ci: Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. »

 
 

 
[Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785, trad. Delbos, Delagrave,1967, p. 87- 148-160]

 

 

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