Nietzsche [08] Je vous enseigne le surhumain : les trois métamorphose de l’esprit. Le chameau, le lion et l’enfant. (Zara.)

Publié le par Maltern

NIETZSCHE FRIEDRICH 1844- 1900 [08]  Je vous enseigne le surhumain : les trois métamorphose de l’esprit. Le chameau, le lion et l’enfant. (Zara.)

 

[Zarathoustra quitte la solitude de la montagne pour descendre vers les hommes. Figure inversée du prophète ou du messie, il ne vient pas annoncer un être transcendant ni un salut au‑delà de l’homme : il renvoie l’homme à lui‑même.]

 

« Je vais vous dire trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant.

Il est maint fardeau pesant pour l’esprit, pour l’esprit patient et vigoureux en qui domine le respect sa vigueur réclame le fardeau pesant, le plus pesant.

Qu’y a‑t‑il de plus pesant ? Ainsi interroge l’esprit robuste ; et il s’agenouille comme le chameau et veut un bon chargement.

Qu’y a‑t‑il de plus pesant ? N’est‑ce pas cela : s’humilier pour faire souffrir son orgueil ? déserter une cause au moment où elle célèbre sa victoire ? […]

Ou bien est‑ce cela : aimer qui nous méprise et tendre la main au fantôme lorsqu’il veut nous effrayer ?

L’esprit robuste charge sur lui tous ces fardeaux pesants : tel le cha­meau qui sitôt chargé se hâte vers le désert, ainsi lui se hâte vers le désert.

Mais au fond du désert le plus solitaire s’accomplit la seconde méta­morphose : ici l’esprit devient lion, il veut conquérir la liberté et être maître de son propre désert.

Il cherche ici son dernier maître : il veut être l’ennemi de ce maître, comme il est l’ennemi de son dernier dieu ; il veut lutter pour la vic­toire avec le grand dragon.

Quel est le grand dragon que l’esprit ne veut plus appeler ni dieu ni maître ? « Tu dois » s’appelle le grand dragon. Mais l’esprit du lion dit : « Je veux «. […]

Créer des valeurs nouvelles ‑ le lion même ne le peut pas encore mais se rendre libre pour la création nouvelle ‑ c’est ce que peut la puissance du lion. […]

Il aimait jadis le « Tu dois » comme son bien le plus sacré : mainte­nant il lui faut trouver l’illusion et l’arbitraire, même dans son bien le plus sacré, pour qu’il fasse, aux dépens de son amour, la conquête de la liberté : il faut un lion pour un pareil rapt.

Mais dites‑moi, mes frères, que peut faire l’enfant que le bon ne pouvait faire ? […]

L’enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, une sainte affirmation.

Oui, pour le jeu divin de la création, ô mes frères, il faut une sainte affirmation : l’esprit veut maintenant sa propre volonté, celui qui a perdu le monde veut gagner son propre monde. »

[Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Première partie, Ed. Mercure de France, p. 27‑29]

 

Publié dans 26 - LA MORALE

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