Freud [24] Fonction Cathartique de l’œuvre d’art : Exemple d’une interprétation psychanalytique de l’Œdipe Roi de Sophocle.

Publié le par Maltern

Freud [24] Fonction Cathartique de l’œuvre d’art : Exemple d’une interprétation psychanalytique de l’Œdipe  Roi de Sophocle.

 

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« D’après mes observations, déjà fort nombreuses, les parents jouent un rôle essentiel dans la vie psychique de tous les enfants qui seront plus tard atteints de psychonévroses. La tendresse pour l’un, la haine pour l’autre appartiennent au stock immuable d’impulsions formées à cet âge, et qui tiendront une place si importante dans la symptomatologie de névrose ultérieure. Mais je ne crois pas que les névropathes se distinguent en cela des individus normaux, il n’y a là aucune création nouvelle, rien qui leur soit particulier. Il semble bien plutôt, et l’observation des enfants normaux paraît en être la preuve, que ces désirs affectueux ou hostiles à l’égard des parents ne soient qu’un grossissement de ce qui se passe d’une manière moins claire et moins intense dans l’esprit de la plupart des enfants. L’Antiquité nous a laissé pour confirmer cette découverte une légende dont le succès complet et universel ne peut être compris que si on admet l’existence universelle de semblables tendances dans l’âme de l’enfant.

 

Je veux parler de la légende d’Œdipe Roi et du drame de Sophocle. […] La pièce n’est autre chose qu’une révélation progressive et très adroitement mesurée - comparable à une psychanalyse - du fait qu’Œdipe lui-même est le meurtrier de Laïos, mais aussi le fils de la victime et de Jocaste. Épouvanté par les crimes qu’il a commis sans le vouloir, Œdipe se crève les yeux et quitte sa patrie. L’oracle est accompli.

 

Oedipe-roi est ce qu’on appelle une tragédie du destin; son effet tragique serait dû au contraste entre la toute-puissante volonté des dieux et les vains efforts de l’homme que le malheur poursuit; le spectateur, profondément ému, devrait, y apprendre la soumission à la volonté divine et sa propre impuissance. […] Si les modernes sont aussi émus par Oedipe-roi que les contemporains de Sophocle cela vient non du contraste entre la destinée et la volonté humaine, mais de la nature du matériel qui sert à illustrer ce contraste. Il faut qu’il y ait en nous une voix qui nous fasse reconnaître la puissance contraignante de la destinée dans Œdipe.

 

[…] Sa destinée nous émeut parce qu’elle aurait pu être la nôtre, parce qu’à notre naissance, l’oracle a prononcé contre nous cette même malédiction. Il se peut que nous ayons tous senti à l’égard de notre mère, notre première impulsion sexuelle, à l’égard de notre père notre première haine; nos rêves en témoignent. Oedipe qui tue son père et épouse sa mère ne fait qu’accomplir un des désirs de notre enfance.

 

Mais, plus heureux que lui, nous avons pu, depuis lors, dans la mesure où nous ne sommes pas devenus névropathes, détacher de notre mère nos désirs sexuels et oublier notre jalousie à l’égard de notre père. Nous nous épouvantons à la vue de celui qui a accompli le souhait de notre enfance, et notre épouvante a toute la force du refoulement qui depuis lors s’est exercé contre ces désirs. Le poète, en dévoilant la faute d’Oedipe, nous oblige à regarder en nous-mêmes et à y reconnaître ces impulsions qui, bien que réprimées, existent toujours. Le contraste sur lequel nous laisse le Choeur : «... Voyez cet Oedipe, qui devina les énigmes fameuses. Cet homme très puissant, quel est le citoyen qui ne regardait pas sans envie sa prospérité ? Et maintenant dans quel flot terrible de malheur il est précipité ! », cet avertissement nous atteint nous-mêmes et blesse notre orgueil, notre conviction d’être devenus très sages et très puissants depuis notre enfance.

 

Comme Œdipe, nous vivons inconscients des désirs qui blessent la morale et auxquels la nature nous contraint. Quand. On nous les révèle, nous aimons mieux détourner les yeux des scènes de notre enfance.

 

[…] Aujourd’hui comme autrefois, beaucoup d’hommes rêvent qu’ils ont avec leur mère des relations sexuelles; cela les indigne et ils racontent ce rêve avec stupéfaction. Il est, on le voit, la clef de la tragédie de Sophocle, et il complète le rêve de mort du père. La légende d’Œdipe est la réaction de notre imagination à ces deux rêves typiques, et, comme ces rêves sont, chez l’adulte, accompagnés de sentiments de répulsion, il faut que la légende intègre l’épouvante et l’autopunition dans son contenu même. »

 
 

 
[Freud, L’interprétation des rêves, pp..
227-230, P.U.F., I967.]

Publié dans 10 - L'art

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