MERLEAU-PONTY Maurice 1908-1961 [10] En quel sens l’engagement est-il expérience de la liberté et de l’existence ?

Publié le par Maltern

MERLEAU-PONTY Maurice  1908-1961 [10] En quel sens l’engagement est-il expérience de la liberté et de l’existence ?

 L’individu n’est ni tout puissant ni « conditionné ».

 

« Il y a là‑dessus [1] deux vues classiques. L’une consiste à traiter l’homme comme le résultat des influences physiques, physiologiques et sociologiques qui le détermineraient du dehors et feraient de lui une chose entre les choses. L’autre consiste à reconnaître dans l’homme, en tant qu’il est esprit et construit la représentation des causes mêmes qui sont censées agir sur lui, une liberté acosmique[2]. D’un côté l’homme est une partie du monde, de l’autre il est conscience constituante du monde. Aucune de ces deux vues n’est satisfaisante. À la première on opposera toujours après Descartes que, si l’homme était une chose entre les choses, il ne saurait en connaître aucune, puisqu’il serait, comme cette chaise ou cette table, enfermé dans ses limites, présent en un certain lieu de l’espace et donc incapable de se les représenter tous. Il faut lui reconnaître une manière d’être très particulière, l’être inten­tionnel [3], qui consiste à viser toutes les choses et à ne demeurer en aucune. Mais si l’on voulait conclure de là que, par notre fond, nous sommes esprit absolu, on rendrait incompréhensibles nos attaches corporelles et sociales, notre insertion dans le monde, on renoncerait à penser la condition humaine. Le mérite de la philosophie nouvelle est justement de chercher dans la notion

 

d’existence le moyen de la penser. L’existence au sens moderne, c’est le mouvement par lequel l’homme est au monde, s’engage dans une situation physique et sociale qui devient son point de vue sur le monde. Tout engagement est ambigu, puisqu’il est à la fois l’affirmation et la restriction d’une liberté[4] : je m’engage à rendre ce service, cela veut dire à la fois que je pour­rais ne pas le rendre et que je décide d’exclure cette possibilité. De même

 

l’engagement mon engagement dans la nature et dans l’histoire est à la fois une limitation de mes vues sur le monde et ma seule manière d’y accéder, de connaître et de faire quelque chose. Le rapport du sujet à l’objet n’est plus ce rapport de connaissance dont parlait l’idéalisme classique et dans lequel l’objet apparaît toujours comme construit par le sujet, mais un rapport d’être selon lequel paradoxalement le sujet est son corps, son monde et sa situation et, en quelque sorte, s’échappe. »

 

 [Maurice Merleau‑Ponty, Sens et Non‑Sens (1945), Gallimard, coll. «Bibliothèque de philosophie», 1996, p. 88‑89.]

 


[1] Sur la question du rapport entre l’homme et de son entourage naturel et social.

[2] Qui serait séparée du monde.

[3] L’intentionnalité selon Husserl c’est le pouvoir pour une conscience de se rapporter à un objet.

[4] La notion de “choix” inclut celle d’un renoncement.

Publié dans 27 - Liberté

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