Ω Moulin Raymonde [01] L’ « unicité » de l’œuvre fait-elle son prix ?

Publié le par Maltern

Moulin Raymonde [01]  L’ « unicité » de l’œuvre fait-elle son prix ?

La valeur marchande des œuvres d’art. [art, échanges]

 

 
[On sait que la rareté contribue à faire la valeur d’échange. Mais dans le marché de l’art où l’œuvre est unique, - en plusieurs sens -, le rarissime s’échange encore et le prix ne dépend plus du marché mais des enchérisseurs, ce qui le rend inestimable et imprévisible.]

  
 

« L’œuvre mise en vente, tableau ou sculpture, est singulière et irremplaçable; elle est indivisible et non substituable. A cet effet originel de rareté s’adjoi­gnent deux facteurs temporels de raréfaction. D’une part, les oeuvres d’art ne sont pas physiquement impérissables. Il est impossible de faire le bilan de celles qui ont été perdues du fait des cataclysmes naturels ou des destruc­tions humaines. Les aléas de la destinée posthume des artistes ont, de sur­croît, diminué les chances de survie de certaines oeuvres. D’autre part, il faut compter avec le capital artistique gelé dans les musées qui assurent la conservation des oeuvres et leur mise à disposition du public. En France, ces biens, qui font partie du patrimoine national, sont définitivement retirés du marché. Les oeuvres sont ainsi protégées des effets de mode, même si, selon les moments, elles disparaissent dans les réserves ou réapparaissent sur les cimaises. L’existence du musée d’Orsay, dans sa présentation actuelle qui revisite l’art « pompier »[1], témoigne en faveur de cette permanence. La situation juridique n’est pas la même aux États-Unis où la procédure du deaccessioning [2] autorise la mise en vente, sous certaines conditions, des oeuvres appartenant à un musée.

 

Ces biens d’art uniques constituent le type-idéal[3] des biens rares dont la différenciation accomplie confère un monopole, au sens étymolo­gique du terme, à leur détenteur. Qu’il s’agisse ou non d’une vente aux enchères, le vendeur d’un tableau est vendeur unique d’un tableau unique. Cependant, il est bien connu que le monopoleur n’est jamais aussi totalement maître du prix qu’il peut le paraître. Des variables rela­tives à la demande doivent être prises en considération: le revenu des acheteurs potentiels, le taux de rendement des actions et des obligations, la conjoncture économique générale. On admet de plus [...] l’existence d’une certaine substituabilité entre des biens a priori hétérogènes. Un tableau de maître non substituable à un autre en tant que tel peut offrir, en tant que source de prestige ou valeur refuge, des usages identiques. L’unicité de l’œuvre  impose une situation de monopole, mais les moti­vations complexes des acheteurs éventuels (qui n’achètent pas toujours l’oeuvre unique, mais le symbole social ou le placement solide) réintro­duisent au sein du monopole des éléments concurrentiels. Le degré de substituabilité de l’offre va décroissant au fur et à mesure qu’on s’ap­proche de l’excellence artistique et de la rareté extrême.

 

Dans le marché de la peinture classée[4] , où dominent les éléments monopolistiques, on atteint, dans le cas idéal-typique de la limitation quasi absolue de l’offre, des sortes de sommets économiques, sous condition que cette rareté rarissime soit constituée préalablement comme valeur artistique, c’est-à-dire que soit définie la place de l’artiste dans l’histoire de l’art et la place d’une œuvre particulière dans l’œuvre  entier de l’artiste. Le prix dépend, en dernière analyse, de la compéti­tion finale entre deux enchérisseurs, de leur désir de posséder l’oeuvre et de leurs moyens d’achat. Il est, en tant que tel, largement imprévisible. »

  

 

 

[Raymonde Moulin, Le Marché de l’art. Mondialisation et nouvelles technologies, Flammarion, Dominos, 2000, pp. 13-15.]

 

 

 


[1] Art «pompier» on nomme ainsi les oeuvres figuratives qui ignorent l’art moderne depuis l’impressionnisme dans les années 1860. Plaisanterie sur es peintres qui à la suite de David peignent leurs figures grecques ou romaine avec des casques.

[2] "Deaccessioning" : exclure d’un catalogue de musée.

[3] Type-idéal : modèle exemplaire.

[4] Œuvres anciennes ou modernes déjà entrées dans le patrimoine

Publié dans 10 - L'art

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