Guy Coq : Logique égalitaire et logique élitaire dans l’institution scolaire.

Publié le par Maltern

Logique égalitaire et logique élitaire dans l’institution scolaire.

 

Diversifier les modes d’accès à l’élite et développer l’éducation

 

 

 

[« La démocratie rend-elle l’école impossible ? » c’est en ces termes volontairement accrocheurs que Guy Coq, philosophe et collaborateur de la revue Esprit pose la question de la sélection dans le cadre scolaire. L’école se trouve de fait le lieu où se confrontent deux logiques : « Une logique égalitaire, fondée sur le grand principe républicain de l’égalité des chances pour tous, visant à établir une justice sociale à travers l’école ; et une logique élitaire. Toutes les positions sociales n’étant pas également enviées, cela génère concurrence, compétition et sélection ». Si la sélection n’est pas injuste en soi, par contre les modalités selon laquelle elle s’effectue peuvent l’être. Pour y remédier et éviter le « mono-élistisme » d’une filière comme voie d’accès aux concours et la simple « reproduction des élites » (Cf .Bourdieu) ce qui est préconisé, c’est la reconnaissance des filières du bac et de leurs excellences propre. ]

 

 

 

 

 

 « II y a un aspect structurel de la crise du système scolaire dans la démocratie. Il y a un aspect structurel de la crise qui tient tout simplement au type de demande, au type de logique, de la société démocratique vis-à-vis du système scolaire et plus largement vis-à-vis de l’éducation. Il y a deux logiques, l’une, la première, que j’ai appelée logique égalitaire, la seconde, que j’ai appelée logique élitaire. Égalitaire s’oppose à égalitarisme, élitaire s’oppose à élitisme. Les deux logiques en même temps travaillent le système, elles ont des effets structurels sur le système scolaire, des effets sur la conception de l’enseignement, et enfin sur les valeurs mises en avant.

 

Effets structurels de la logique égalitaire : elle tend à unifier le système ; elle a comme idéal : « tout le monde bachelier». La logique égalitaire est une logique unificatrice. Souvenez-vous de 1975, qui voit la fin de l’unification du collège lorsque René Haby peut dire : «Tous les enfants entreront en sixième et tous les enfants entreront dans la même sixième, vive la démocratie

 

Deuxième point : la conception de l’enseignement. La logique égalitaire insiste sur le fait qu’elle doit quelque chose à tout le monde, à savoir l’enseignement, et donc qu’il faut se débrouiller pour le rendre accessible à tous. C’est pourquoi on va insister sur la pédagogie. II faut prendre les enfants comme ils sont, et donc trouver des méthodes adaptées à ce qu’ils sont pour les mener quelque part. La pédagogie est au pouvoir.

 

Troisième point, les valeurs mises en avant. C’est la valeur d’égalité, grande valeur de la République et de la démocratie d’ailleurs, et aussi la valeur de libération par le savoir, l’école libératrice. Évidemment, la logique égalitaire va agir d’une certaine manière sur le système scolaire, et c’est la société qui ici est au poste de commandement et entraîne les structures de l’État.

 

La logique élitaire est beaucoup moins populaire que la logique égalitaire parce que cette logique égalitaire est bien connue. Mais la logique élitaire, je la découvre par la question suivante : même dans une démocratie parfaite, même dans une république où tous les êtres sont traités avec égalité, il faut des élites, il faut de l’excellence. La question est de savoir comment on va former cette élite qui, au fond, apporte tant à la société. Il y a trois moyens pour faire une élite : premièrement, la famille; deuxièmement, l’argent; troisièmement, l’éducation. Voyons ces trois voies d’accès.

 

Dans la première, on entre dans l’élite par héritage familial : le grand-père étant polytechnicien, le père est polytechnicien, l’enfant sera polytechnicien. Dans la seconde, l’argent commande. Il permet d’accéder aux très bonnes écoles, non pas forcément parce qu’on est le plus intelligent ou le plus motivé même, mais parce que la famille a les moyens de payer cher l’accès à ces écoles. Ce système, évidemment, est possible et fonctionne éventuellement, mais il n’est pas non plus défendable dans la société de style démocratique. Il reste alors l’éducation. On est amené à défendre l’idée qu’il faut que le système éducatif intervienne dans la sélection de l’élite. Quels vont être les effets sur la structure ? Là où la logique égalitaire est homogénéisante et unificatrice, la logique élitaire est différenciatrice, elle travaille toujours à créer des institutions nouvelles, à côté, qui seraient plus adaptées à la culture du meilleur, à la culture d’une élite, à la culture de la qualité. La dualité Université-grandes écoles en France est un signe bien connu de cette action différenciatrice. Deuxièmement, pour la conception de l’enseignement : c’est le savoir, la compétence, le niveau qui gouvernent l’enseignement. Troisièmement, les valeurs sont évidemment des valeurs assez peu populaires : c’est le plein développement des meilleurs. Il faut trouver, voire détecter, ceux qui sont les meilleurs et cela va passer par de la compétition, de la sélection. Vous voyez bien que ce sont des valeurs complètement refoulées dans la société démocratique récente. Ce sont des valeurs que l’on pratique mais il ne faut jamais le dire, cela fait partie du non-dit.

 

Il y a une contradiction ou une dialectique entre ces deux logiques. Je plaide pour une dialectique, car je constate en fait que l’histoire de l’école n’est que l’histoire de la contradiction niée entre ces deux logiques. »

 

 

 

[Guy Coq, La démocratie rend-elle l’éducation impossible ? (1999). p.116]

 

La crise de la culture scolaire (2003) aux éditions du Félin

 

 

 

Publié dans 22 - La société

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