Kant Emmanuel [62] Si la morale nous rend que « dignes » du bonheur la religion nous le laisse « espérer »

Publié le par Maltern

Kant Emmanuel [62] Si la morale nous rend « dignes » du bonheur la religion nous le laisse « espérer »

 

« La loi morale conduit, par le concept du souverain Bien comme objet et but final de la raison pure pratique, à la religion, c’est-à-dire conduit à reconnaître tous les devoirs comme des commandements divins, non comme des sanctions, c’est-à-dire des commandements arbitraires et en eux-mêmes contingents d’une volonté étrangère, mais comme des lois essentielles de toute volonté libre en elle-même, que nous devons cependant considérer comme des commandements de l’Être suprême, parce que nous ne pouvons espérer obtenir que d’une volonté moralement parfaite (sainte et bonne) et en même temps toute-puissante, le souverain

Bien que la loi morale nous fait un devoir de nous proposer comme objet de nos efforts, et qu’en conséquence nous ne pouvons espérer y parvenir que par l’accord avec cette volonté. Ici aussi, tout reste donc désintéressé, et simplement fondé sur le devoir ; sans qu’on ait le droit de prendre pour mobiles la crainte ou l’espérance, lesquelles, érigées en principes, anéantissent toute la valeur morale des actions. La loi morale m’ordonne de faire du plus haut bien possible dans un monde l’objet ultime de toute ma conduite. Mais je ne puis espérer le réaliser que par l’accord de ma volonté avec celle d’un Auteur du monde saint et bon, et, bien que mon propre bonheur soit compris dans le concept du souverain Bien, comme dans celui d’un tout où le plus grand bonheur possible est représenté comme lié, dans la plus exacte proportion, avec le plus haut degré de perfection morale (possible dans des créatures), ce n’est pas lui, mais la loi morale (qui au contraire limite par des conditions rigoureuses mon désir illimité de bonheur) qui est le principe déterminant de la volonté recevant l’ordre de mettre en œuvre le souverain Bien.

 

C’est bien pourquoi la morale n’est pas à proprement parler la doctrine qui nous enseigne comment nous devons nous rendre heureux, mais comment nous devons devenir dignes du bonheur. C’est seulement lorsque la religion s’y ajoute que se déclare aussi l’espérance de participer un jour au bonheur dans la mesure où nous avons eu soin de n’en pas être indignes.

 

Quelqu’un est digne de posséder une chose ou un état quand le fait d’être dans cette possession s’accorde avec le souverain Bien. On peut maintenant comprendre aisément que tout mérite dépend de la conduite morale, parce que celle-ci constitue dans le concept du souverain Bien la condition du reste (de ce qui se rapporte à l’état de la personne), à savoir de la participation au bonheur. Or il suit de là que l’on ne doit jamais traiter la morale comme une doctrine du bonheur, c’est-à-dire comme un enseignement portant sur la manière d’obtenir le bonheur, car elle n’a trait qu’à la condition rationnelle (conditio sine qua non) du bonheur, non au moyen de l’acquérir. Mais lorsque la morale (qui impose uniquement des devoirs et ne fournit de règles à des désirs intéressés) a été exposée complètement, alors seulement, après que s’est éveillé le désir moral, fondé sur une loi, de réaliser le souverain Bien (d’amener à nous le règne de Dieu), désir qui auparavant n’a pu venir à aucune âme intéressée, et après que, pour conforter ce désir, le pas vers la religion a été franchi, alors seulement la doctrine morale peut être appelée aussi une doctrine du bonheur, parce que l’espoir d’obtenir le bonheur ne commence qu’avec la religion. »

 

[Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique, 1788, tr. L. Ferry et H. Wissman, La Pléiade, II,  p. 766-767].

 

 

Publié dans 12 - Religion

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