Sénèque 38 vmc : Vision paternaliste de l’esclavage : [à Lucilius, 47]] 4 av.J-C- 65 apr. JC * Une vision paternaliste de l’esclavage. « Cet être que tu appelles ton esclave est né de la mê

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Sénèque 38 - Vision paternaliste de l'esclavage : [à Lucilius, 47]]

4 av.J-C- 65 apr. JC

* Une vision paternaliste de l'esclavage. « Cet être que tu appelles ton esclave est né de la même semence que toi ; qu'il jouit du même ciel, qu'il respire le même air, qu'il vit et meurt comme toi. »


[Aristote construit bien un concept d'esclave qui permet de penser qu'un homme soit la propriété d'un autre. On a , au mieux, dans la pensée antique l'affirmation de l'humanité de l'esclave mais non la condamnation de l'institution servile. Sénèque dans la 47e Lettre à Lucilius illustre l'esclavagisme « paternaliste », domestique ou lignager défendu par Aristote. Bien sûr, l'esclavagisme tempéré par la « philia » reste de l'esclavagisme... Humaniser l'esclavagisme est un moyen de justifier la déshumanisation de l'esclave.]


« Veuillez au moins considérer jusqu'où ont été nos pères pour retrancher tout ce qui pouvait entretenir la haine du maître ou avilir l'esclave : le maître, ils l'ont appelé « père de famille » ; les esclaves, dénomination que de nos jours encore le mime conserve, étaient « les gens de la famille. » Ils instituèrent une fête qui était je ne dis pas le seul jour où les esclaves fussent admis à manger avec le maître, mais celui où ils l'étaient obligatoirement : ils avaient permission expresse d'exercer des charges d'honneur dans l'intérieur de la maison et d'y rendre la justice, chaque maison étant considérée comme une image en réduction de la république ».


* « Je suis heureux d'apprendre de ceux qui viennent d'auprès de toi que tu vis en famille avec tes esclaves, conduite bien digne du personnage éclairé, cultivé que tu es. « Ce sont des esclaves. » Non, ce sont des hommes. « Ce sont des esclaves. » Non, des compagnons de gîte. « Ce sont des esclaves. » Non, mais d'humbles amis. « Ce sont des esclaves. » Des esclaves comme nous-mêmes, si l'on songe que la fortune étend ses droits également sur nous comme sur eux.


Aussi je ris en voyant ces gens du monde qui considèrent comme un scandale de souper avec leur esclave, et pourquoi ? Parce qu'une mode insolente exige au souper du maître toute une troupe d'esclaves debout à l'entour de lui. Le maître absorbe plus qu'il n'en peut recevoir ; glouton insatiable, il surcharge un estomac dilaté, qui a désappris ses fonctions ; ingérant avec peine, il rend le tout dans un effort encore plus laborieux. Cependant les malheureux esclaves n'ont pas le droit de remuer les lèvres, fût-ce pour parler. [...] Voyez la conséquence : ils parlent du maître, ces esclaves à qui vous défendez de parler en présence du maître. Jadis ils causaient en présence du maître, et avec lui ; on ne les tenait pas bouche cousue : ils étaient prêts, ceux-là, à s'offrir au bourreau pour le maître, à détourner sur leur tête le péril qui le menaçait.

Ils parlaient à table ; ils se taisaient sous les tortures. Et puis on va répétant cet adage, inspiré du même orgueil dédaigneux : autant d'esclaves, autant d'ennemis. Ils ne sont pas des ennemis ; c'est nous qui les faisons tels. J'omets cependant d'autres traits de notre barbarie, de notre inhumanité, des procédés qui, leur étant appliqués comme s'ils étaient non pas même des hommes, mais des bêtes de somme, sont autant d'abus.


...] Veux-tu bien te dire que cet être que tu appelles ton esclave est né de la même semence que toi ; qu'il jouit du même ciel, qu'il respire le même air, qu'il vit et meurt comme toi. Tu peux le voir libre comme il peut te voir esclave. Lors du désastre de Varus, bon nombre de personnages de la plus illustre naissance, qui comptaient sur leur carrière militaire pour entrer au sénat, ont été humiliés par la fortune : de l'un elle a fait un pâtre, de l'autre un gardien de cabane. Avise-toi donc de mépriser un homme dont la condition peut devenir la tienne, au moment où tu lui marques ton mépris.

Je ne voudrais pas me lancer dans un vaste sujet ni faire une dissertation en forme sur la conduite à tenir envers ces esclaves que nous traitons avec tant d'orgueil et de cruauté, que nous abreuvons d'outrages. Je résume ainsi ma leçon : vis avec ton inférieur comme tu voudrais que ton supérieur vécût avec toi. Chaque fois que tu songeras à l'étendue de tes droits sur ton esclave, songe que ton maître a sur toi des droits identiques. « Mais moi, dis-tu, je n'ai pas de maître. » Tu es encore dans ta belle saison : tu en auras, peut-être. Ignores-tu à quel âge Hécube et Crésus et la mère de Darius et Platon et Diogène ont vu commencer leur servitude ?


Traite avec bienveillance, avec affabilité ton serviteur. Fais qu'il ait part à ta conversation, à tes délibérations, à ton intimité. Ici tous les gens du bel air vont me huer. « Quelle bassesse ! Quelle turpitude ! » Et ces mêmes gens, je les surprendrai baisant la main de l'esclave d'autrui ! Veuillez au moins considérer jusqu'où ont été nos pères pour retrancher tout ce qui pouvait entretenir la haine du maître ou avilir l'esclave : le maître, ils l'ont appelé « père de famille » ; les esclaves, dénomination que de nos jours encore le mime conserve, étaient « les gens de la famille. » Ils instituèrent une fête qui était je ne dis pas le seul jour où les esclaves fussent admis à manger avec le maître, mais celui où ils l'étaient obligatoirement : ils avaient permission expresse d'exercer des charges d'honneur dans l'intérieur de la maison et d'y rendre la justice, chaque maison étant considérée comme une image en réduction de la république.

[...] C'est agir en fou que de faire marché pour un cheval en regardant non à la bête, mais à la housse et au frein. La pire folie est de juger un homme soit sur l'habit, soit sur la condition, qui n'est qu'un habit jeté sur nous. « Il est esclave », mais c'est peut-être une âme libre. « Il est esclave. » Lui en ferons-nous grief ? Montre-moi qui ne l'est pas. Tel est asservi à la débauche, tel autre à l'avarice, tel autre à l'ambition, tous sont esclaves de l'espérance, esclaves de la peur. Je te citerai un consulaire humble servant d'une vieille bonne femme, un riche soumis à une petite servante ; je te ferai voir des jeunes gens de la première noblesse asservis à quelque danseur de pantomime. La plus indigne des servitudes est la servitude volontaire.

[...] Je ne t'arrêterai pas plus longtemps : d'exhortation tu n'as, en effet, pas besoin. La vertu présente cette caractéristique, entre tant d'autres, qu'elle se complaît avec elle-même sans se démentir jamais. Il y a du caprice chez une nature vicieuse ; elle est sujette au changement, pour rencontrer non du mieux mais du nouveau. »

[Sénèque, Lettres à Lucilius, lettre 47, trad. H. Noblot]


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