Blanché [02] Ce qui est logiquement « valide » n’est pas forcément « vrai ». Il faut distinguer la forme et le contenu des raisonnements

Publié le par Maltern

 Blanché [02] Ce qui est logiquement « valide » n’est pas forcément « vrai ». Il faut distinguer la forme et le contenu des raisonnements

 

« Il ne faut pas confondre la validité d’un raisonnement avec la vérité des propositions qui le composent. Voici, par exemple, deux inférences très simples :

 

Tout triangle est trilatère donc tout trilatère[1] est triangle

 

Tout triangle est quadrilatère, donc quelque quadrilatère est triangle.

 

Un instant de réflexion montrera que la première inférence n’est pas valable bien que les deux propositions y soient vraies, et que la seconde est valable bien que les deux propositions y soient fausses.

 

On exprime souvent cette distinction en opposant, à la vérité matérielle, une vérité formelle, et en disant d’un raisonnement valide qu’il est vrai par sa forme, indépendamment de la vérité de sa matière, c’est-à-dire de son contenu. Et c’est parce que la logique ne s’intéresse qu’à cette forme qu’on l’appelle elle-même formelle. Qu’est-ce donc que la forme d’un raisonne­ment ? et que faut-il entendre par vérité formelle ?

 

Considérons le syllogisme traditionnel :

 
 

 Tout homme est mortel

 

Socrate est homme

 

Donc Socrate est mortel

 
 

Il est clair d’abord que la validité d’un tel raisonnement n’est nullement liée au personnage sur qui il porte : si ce raisonnement est valable pour Socrate, il le serait aussi bien pour Platon, pour Alcibiade, ou pour n’im­porte qui. Nous pouvons donc y remplacer le nom de Socrate par une lettre x jouant le rôle d’une variable indéterminée, et marquant seulement la place pour le nom d’un homme quelconque. Et même, il n’est pas nécessaire que ce soit un nom d’homme : car si j’écris « Bucéphale[2] » ou « l’Himalaya », ma mineure assurément sera une proposition fausse et ma conclusion risquera donc de le devenir aussi, mais mon raisonnement n’en demeurera pas moins valable, en ce sens que si les deux prémisses étaient vraies, nécessairement la conclusion le serait aussi. Cette variable x, qui représente un individu quelconque, nous l’appellerons une variable indivi­duelle. Nous pouvons donc écrire notre raisonnement sous cette forme plus schématique :

 
 

 Tout homme est mortel

 

x est homme

 

Donc x est mortel

 
 

 Faisons un second pas. La validité de ce raisonnement ne dépend pas non plus des concepts qui y figurent : homme, mortel. Il est donc permis de les remplacer par d’autres sans faire perdre de sa force au raisonnement. Pour marquer cette possibilité, je substituerai, là aussi, aux mots qui les désignent, des lettres symboliques, f, g, aptes à représenter des concepts quelconques ce seront des variables conceptuelles. D’où cette nouvelle présentation :

 
 

 Tout f est g

 

x est f

 

Donc x est g

 
 

 J’aurai ainsi dégagé l’ossature logique de mon raisonnement, en le dépouillant progressivement de son contenu initial. Les lettres symboliques y marquent des places vides, qui peuvent être remplies par un contenu quel­conque, sous la seule réserve qu’à la place de x on mette un nom d’individu, à celles de f et de g des termes exprimant des concepts. Elles sont comparables aux blancs d’une « formule » imprimée qu’on vous demande de compléter à la plume, par des indications qui seules donneront à la feuille valeur de renseignement. De même ici, nous n’avons plus affaire qu’à un schéma de raisonnement ou, si l’on veut, à un moule à raisonnements, qui donnera un raisonnement lorsqu’on y coulera une matière. Seulement, quelle que soit cette matière, le raisonnement sera bon, parce que sa validité ne dépend que de la forme du moule, qui demeure invariante. »

 

[Robert Blanché, Introduction à la logique contemporaine, 1957, Armand Colin, 1968, p. 9-11.]

 
 

[1] Figure géométrique à trois côtés.

[2] Nom du cheval d’ Alexandre le Grand.

Publié dans 16 - Démonstration

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