RAWLS John né en 1921 [01] Comment concilier liberté et égalité : l’égalité des chances et la discrimination positive. La méthode du contrat théorique passé « sous un voile d’ignorance

Publié le par Maltern

RAWLS John  né en 1921 [01] Comment concilier liberté et égalité : l’égalité des chances et la discrimination positive. La méthode du contrat théorique passé « sous un voile d’ignorance ».

 

 

 

[La liberté des agents sociaux accroît les inégalités, l’égalitarisme de principe restreint les libertés. Rawls tente de concilier ces deux extrêmes en formulant une théorie de la justice comme équité. Pour que cette norme soit acceptable par tous, il faut revenir aux théories du contrat social mais substituer à l’état de nature une situation hypothétique où les participants s’entendent sur les principes qui les lieront dans la société et sur l’équité des lois à venir]

 

 

 

« Dans la théorie de la justice comme équité, la position originelle d’égalité correspond à l’état de nature dans la théorie traditionnelle du contrat social. Cette position originelle n’est pas conçue, bien sûr, comme étant une situa­tion historique réelle, encore moins une forme primitive de la culture. Il faut la comprendre comme étant une situation purement hypothétique, définie de manière à conduire à une certaine conception de la justice. Parmi les traits essentiels de cette situation, il y a le fait que personne ne connaît sa place dans la société, sa position de classe ou son statut social, pas plus que personne ne connaît le sort qui lui est réservé dans la répartition des capacités et des dons naturels, par exemple l’intelligence, la force, etc. J’irai même jusqu’à poser que [1]les partenaires ignorent leurs propres conceptions du bien ou leurs tendances psychologiques particulières. Les principes de la justice sont choisis derrière un voile d’ignorance. Ceci garantit que personne n’est avantagé ou désavantagé dans le choix des principes par le hasard naturel ou par la contingence des circonstances sociales. Comme tous ont une situation comparable et qu’aucun ne peut formuler des prin­cipes favorisant sa condition particulière, les principes de la justice sont le résultat d’un accord ou d’une négociation équitables (fair). Car, étant donné les circonstances de la position originelle, c’est-à-dire la symétrie des rela­tions entre les partenaires, cette situation initiale est équitable à l’égard des sujets moraux, c’est-à-dire d’êtres rationnels ayant leurs propres systèmes de fins[2] et capables, selon moi, d’un sens de la justice. La position originelle est, pourrait-on dire, le statu quo [3] initial adéquat et c’est pourquoi les accords fondamentaux auxquels on parvient dans cette situation initiale sont équitables. Tout ceci nous explique la justesse de l’expression « justice comme équité » : elle transmet l’idée que les principes de la justice sont issus d’un accord conclu dans une situation initiale elle-même équitable.

 

[…]

 

« Il existe un profond désaccord sur la manière de réaliser le mieux possible les valeurs de la liberté et de l’égalité dans la structure de base de la société. Pour simplifier, disons que ce conflit, intérieur à la tradition de la pensée démocratique elle-même, est celui qui existe entre la tradition de Locke[4], qui donne plus d’im­portance à ce que Benjamin Constant[5] appelle la « liberté des Modernes », c’est-­à-dire la liberté de pensée et de conscience, certains droits de base de la personne et de propriété, et celle de Rousseau, qui met l’accent sur la « liberté des Anciens », c’est-à-dire l’égalité des libertés politiques et les valeurs de la vie publique. Ce contraste est, bien entendu, grossier et historiquement inexact, mais il peut servir à fixer les idées.

 

La théorie de la justice comme équité essaie d’arbitrer entre ces traditions concurrentes, tout d’abord en proposant deux principes de justice pour servir de guides dans la réalisation par les institutions de base des valeurs de la liberté et de l’égalité, et ensuite en définissant un point de vue d’après lequel ces principes apparaissent plus appropriés que d’autres à la nature des citoyens d’une démo­cratie, si on les considère comme des personnes libres et égales. [...] Une certaine organisation de la structure de base, certaines formes institutionnelles sont mieux faites pour réaliser les valeurs de la liberté et de l’égalité quand les citoyens sont considérés comme des personnes libres et égales - c’est-à-dire comme doués d’une personnalité morale qui leur permet de participer à une société envisagée comme un système de coopération équitable en vue de l’avantage mutuel. Ces

 

deux principes de justice s’énoncent donc de la façon suivante :

 

 

 

1. Chaque personne a un droit égal à un système pleinement adéquat de libertés et

 

de droits de base égaux pour tous, compatible avec un même système pour tous.

 

 

 

2. Les inégalités sociales et économiques doivent remplir deux conditions:

 

en premier lieu, elles doivent être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à

 

tous dans des conditions de juste (fair) égalité des chances; et, en second lieu, elles doi­vent être au plus grand avantage des membres les plus défavorisés de la société. »

 

                                  

 

[John Rawls , La Théorie de la justice comme équité: une théorie politique et non pas métaphysique,1971, Seuil/Point 38-39 ; 91-92]

 

 

 

 

 


 

[2] … de valeurs qui orientent les choix

[3] La situation stable ( in statu quo ante : dans l’état d’auparavant)

[4] Locke (1632-1704) in Traité du gouvernement civil

[5] Constant (1767-1830) in De la liberté chez les modernes

 

Publié dans 27 - Liberté

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